LOI ANTI-GASPILLAGE : RÉELLE OPPORTUNITÉ OU MIRAGE ÉCOLOGIQUE ?

Tribune par Guy Pezaku, CEO de Murfy, à retrouver sur LesEchos.fr 

 

Le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire débattu au Sénat le 24 septembre 2019 vise à inscrire la France dans une économie dite “plus verte”. L’urgence climatique étant criante, on ne peut que saluer l’initiative !

Pour cela, trois axes seront privilégiés pour réduire le gaspillage et préserver les ressources : 

  • la transformation des modes de production dans leur ensemble,
  • l’amélioration du recyclage des déchets,
  • l’apport d’une meilleure information aux consommateurs sur les produits qu’ils achètent.

Parmi les mesures proposées, l’indice de réparabilité fait son entrée aux côtés de la révision du principe dit du “pollueur-payeur” et de l’obligation de reprise des anciens appareils, pour les distributeurs de la vente physique et de la vente en ligne.

À présent, il paraît légitime de s’interroger quant à l’efficacité de ces mesures, compte tenu de l’écosystème actuel. Sont-elles suffisantes ou n’essaierait-on pas là de nous jeter de la poudre aux yeux ?

La réparation d’électroménager aujourd’hui

Aujourd’hui, lorsqu’un consommateur rencontre une panne et qu’il n’est pas en mesure de réparer son produit seul, il y a malheureusement peu de chance qu’il fasse appel à un réparateur. Les consommateurs sont freinés à l’idée de se faire avoir sur les prix des réparations et par les délais d’intervention souvent trop longs.
Pourtant, ils considèrent la réparation comme une solution intéressante lorsque l’intervention est réalisée en moins d’une semaine et que son tarif ne dépasse pas 30% de la valeur neuve du produit (pièce et main d’oeuvre). Ils sont également conscients que réparer permet de limiter le gaspillage.

Mais même pour les plus téméraires qui tentent l’expérience de la réparation, quelques obstacles continuent de leur barrer la route. En effet, certaines pièces détachées peuvent s’avérer très onéreuses, sans oublier les délais d’approvisionnement trop longs. Or, ces pannes pourraient techniquement être solutionnées.

Finalement, il ne reste que deux arguments acceptables pour justifier de la non réparabilité d’un appareil. Tout d’abord, il se peut que la réparation ne soit pas réalisable à domicile (c’est le cas des roulements de lave-linge par exemple, qui nécessitent d’être en atelier). Deuxièmement, l’indisponibilité des pièces détachées compromet naturellement la réparation. Mais, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ces deux motifs ne représentent en réalité qu’une infime part des cas de pannes : 8% pour le premier et 3% pour le second ! (*)

Un jeu auquel les fabricants se prêtent

Les apparences peuvent parfois être trompeuses. Nous venons de le souligner, les pièces détachées nécessaires à la réparation d’un appareil en panne sont indisponibles dans seulement 3% des cas. Et ce pour la simple raison que les fabricants ont tout intérêt à vendre des pièces détachées car les marges pratiquées sur les pièces sont bien plus importantes que celles pratiquées sur la vente d’appareils neufs (en pourcentage du chiffre d’affaires généré). 

On comprend donc aisément que du point de vue des fabricants, concevoir des produits irréparables ne présente pas un grand intérêt. En effet, si le consommateur décide d’acheter un nouveau produit, il n’est pas dit qu’il achètera un modèle de la même marque. L’intérêt est en revanche bien plus élevé pour le distributeur qui verra son client revenir pour acheter une nouvelle machine (d’une autre marque probablement), une fois la sienne en panne.

L’écosystème de l’électroménager dominé par les distributeurs

Le marché de l’électroménager est assez dense et la concurrence entre les fabricants est forte. Face à un tel contexte concurrentiel et à une offre de produits aux caractéristiques relativement similaires, le prix est souvent l’élément différenciant lors d’un achat. Les consommateurs sont plus fidèles aux distributeurs qu’aux marques car ils proposent un large panel d’appareils électroménagers, ainsi que des services essentiels comme la livraison, l’installation et le SAV. 

Aux yeux du consommateur, dans cet écosystème, les distributeurs créent davantage de valeur que les fabricants. Ils sont donc en position largement favorable pour négocier durement les prix avec ces derniers. 

Comment le projet de loi impactera-t-il le marché de l’électroménager ?

Certes, l’indice de réparabilité apportera plus de transparence sur le marché. Il favorisera également les fabricants les plus vertueux qui pourront faire face à la concurrence grâce à ce nouvel argument de vente.

Pourtant, cette mesure est à prendre avec du recul, notamment à cause du risque d’instrumentalisation d’un tel outil. À cet égard, on retiendra l’exemple des notes de consommation énergétique (A++, A+, A, B, etc.) qui sont calculées en fonction du programme “eco” de la machine. Ce programme ne consomme pas beaucoup d’énergie comparé aux autres car il lave à froid et pendant longtemps (ce qui est très mauvais pour les machines sur le long terme en raison des dépôts de calcaire et du développement de bactéries engendré). Or l’indice de consommation d’énergie des machines incite de nombreux consommateurs à changer leur ancien appareil en panne pour un plus récent car le discours commercial les laisse penser que les nouveaux appareils  consommeraient moins et seraient meilleurs pour l’environnement. 

Sachant que 60% de l’empreinte écologique d’une machine à laver provient de sa phase de production, la question de la pertinence de cet indice se pose. Inciter les consommateurs à changer leur machine actuelle pour une machine neuve, soi-disant plus réparable, aurait un impact écologique encore plus grand. Le délai de mise en oeuvre de cette mesure, prévue pour 2021, est beaucoup trop long compte tenu de l’urgence climatique !

Pour finir, s’attaquer à la disponibilité des pièces détachées n’est pas prioritaire étant donné que cela ne représente que 3% des cas d’irréparabilité. Les points importants, non abordés dans ce projet de loi seraient plutôt les prix pratiqués et les délais d’approvisionnement, les deux grands freins actuels pour les consommateurs.

Le réemploi, grand absent dans ce projet de loi

Bien que central dans le concept d’économie circulaire, on peut déplorer l’absence totale du réemploi dans ce projet de loi ainsi que dans la stratégie actuelle du gouvernement en matière de traitement des déchets.

Aujourd’hui, l’Union Européenne impose à la France des objectifs sur le taux de déchets recyclés. Cependant, aucun objectif de réemploi n’est imposé.

En pérennisant un systématisme de réparation des appareils et en introduisant leur reconditionnement, on allongerait leur durée de vie, ou tout du moins, diminuerait leur empreinte carbone. Pour toutes ces raisons, le développement des marchés de la réparation et du reconditionné dans l’électroménager sont des  filières d’avenir. Ce sont là des solutions intéressantes, qui constituent un espoir écologique pour la planète et apportent des perspectives pour l’économie circulaire. 

Sources :

  • Etude réalisée par HOP / Halte à l’Obsolescence Programmée en partenariat avec Murfy, “Lave-linge : une durabilité qui prend l’eau ?”, 2019.
  • Données Murfy sur 7000 réparations effectuées en 1 an.
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